« On se voit pour Pâques, d’accord mon grand ? Sois bien sage avec ton oncle et ta tante. » Je serre les dents, au moment où mon père tapote ma tête comme si j’avais été un bon chien attendant sagement le retour de ses maîtres. Je ne réponds rien, me contentant de les foudroyer du regard, ma mère et lui, alors qu’ils s’éloignent en direction de la voiture qui les emmènera loin de moi. Chaque fois qu’ils partent pour l’Irak, je me dis que c’est peut-être la dernière fois que je les verrais. Qu’ils mourront là-bas comme tant d’autres avant eux, et que je ne pourrais même pas leur dire avant qu’au fond, je les aime tous les deux. « Tu viens Ezra ? On va bientôt manger. » Je hoche la tête et suis mon oncle qui s’empare de ma valise. J’ai onze ans, et voilà maintenant sept ans que je fais la même chose tous les étés : je vis chez eux plus que ce que je ne vis chez moi, ils me connaissent mieux que mes propres parents. Ma cousine Gemma passe son bras autour de mon cou et sourit. Elle est plus jeune que moi, mais elle adore que je revienne chez eux, quand la rentrée approche. Elle n’a ni frère ni sœur, et je constitue à peu près l’image qu’elle se fait du grand-frère héroïque et protecteur. « On joue à cache-cache ? » elle propose. Je secoue la tête et croise les bras, comme un adulte. « Hors de question, c’est pour les enfants. » je réponds. Ses yeux s’illuminent. « Wahou, trop cool ! » Je ne comprendrai jamais les enfants. Le lendemain, je rentrerai au collège. Les choses changeront, je grandirai, mais mes parents ne seront pas là pour me demander comment ça s’est passé. Eux, ils seront dans l’avion qui les emmènera à l’autre bout de la planète, se fichant totalement de savoir si je suis assis à côté d’une jolie fille et si je me suis fait des copains pour aller jouer au foot, après les cours. « T’en fais pas Ezra. On est là pour toi, nous. » déclare ma tante en déposant un baiser baveux sur ma joue. Je ris un peu et acquiesce : eux, ils sont ma famille.