Le petit garçon tomba et se retrouva le nez dans la boue, sous les éclats de rire des autres bambins. « Ophelia Rosewater ! » hurla l’institutrice en relevant l’enfant. « Pourquoi as-tu fait cela à Tom ? » « Parce qu’il a frappé Aaron. Il l’avait mérité ! Je n’ai fait que défendre mon copain ! » Du haut de ses sept ans, l’enfant était extrêmement déterminée et rien n’aurait pu l’en faire démordre, pas même une sévère punition. Toutefois, la jeune femme devait bien reconnaitre que le petit Tom est un caïd, un enfant affreusement gâté par ses parents et exécrable. Alors que Ophelia et Aaron, toujours fourrés ensemble, étaient bien sous tout rapport. Et pourtant, lorsque l’on voyait la petite sœur de Ophelia, Emily, il semblait difficile de croire qu’elles étaient élevées ensemble, par les mêmes parents.

De son coin, Ophelia plaqua une main sur sa bouche pour qu’Aaron ne puisse pas l’entendre éclater de rire. Elle lui avait promis que sa vengeance serait terrible. Il avait ri, s’imaginant que son amie n’oserait pas aller aussi loin que lui. Elle avait même allée au-delà et cela allait probablement leur causer de sacrés ennuis mais à vrai dire, elle n’en avait cure, et lui non plus. « Qu’est ce que tu fais, beauté ? » Ophelia sursauta et fit volte face. C’était son petit copain. Le quaterback de l’équipe de foot. La jeune fille se demandait encore pourquoi le mec le plus sexy du lycée (pas de son point de vue, cependant) avait jeté son dévolu sur elle, une des meilleures élèves de sa classe. Pas du tout une fille populaire, branchée ou pom pom girl, contrairement à sa jeune sœur. Ce que Ophelia ne réalisait pas, c’était qu’elle avait la poitrine le plus opulente du lycée, qui la rendait plus désirable aux yeux des sportifs que n’importe quelle autre fille. Elle s’en fichait, de toute façon. Tout prétexte était bon pour ne surtout pas penser à Aaron. Au fait qu’elle était amoureuse de son meilleur ami. Totalement, follement, éperdument amoureuse de lui. « Je sais que c’est toi, Rosewater. » Ophelia sourit, sans se retourner, fixant toujours son petit copain. « Tu l’as cherché, Evenwood. »

« Quoi ? » Elle fixa Charlie comme s’il lui faisait une mauvaise blague. Mais le jeune homme semblait réellement désolé de lui annoncer cela. « Ma sœur. De toutes les pétasses qu’il aurait pu se taper dans le lycée, il choisit ma petite sœur. C’est le bouquet. » « Tu es jalouse, Ophe ? » « Non, je suis dégoutée, parce que je comptais couper les ponts avec ma sœur, mais si je fais ça, je devrais couper les ponts avec mon meilleur ami. Ce que je ne compte pas faire. » Elle regarda son petit ami, qui passait au loin. Avec désolation. C’était leur dernière année de lycée, et il parlait déjà de l’université, de la bourse qu’il était sûr d’obtenir grâce à son haut niveau en football américain. Et elle qui serait à son bras, que tous lui envieraient. Elle ne l’écoutait pas vraiment, car sinon elle lui aurait rétorqué que leur romance se finirait avec le lycée, qu’elle ne se voyait absolument être sa femme, mère au foyer pendant qu’il parcourrait le monde avec son équipe. Non, très peu pour elle. Savannah avait une grande ambition. Elle voulait devenir architecte, et elle avait même déjà été acceptée dans une prestigieuse école. Mais seule sa mère était au courant.

« Aaron et moi allons nous marier. » Ophelia ne prit la peine de regarder ni sa sœur ni son futur mari. Elle se contenta de siffler cul sec le fond de son verre de vin blanc et de le re-remplir. « Bien entendu, tu es cordialement invitée. » Elle regarda sa cadette fièrement s’éloigner pour aller recevoir les félicitations de rigueur du restant de leur très guindée famille. « Je suis désolé, Ophe, je ne voulais pas que tu l’apprennes comme ça… » La jeune femme fit un vague signe de la main. « Tant qu’elle ne pousse pas le vice à faire de moi sa demoiselle d’honneur. J’en doute mais avec elle, on ne sait jamais. » Elle regarda Aaron. « Félicitations, futur monsieur Rosewater ! » lâcha t’elle, ce qui les fit rire tous les deux. Elle n’irait pas jusqu’à dire qu’elle était heureuse pour lui, cependant. « Lee va t’accompagner ? » Ils pouffèrent tous les deux. « Non. Je ne sais pas auquel de mes prétendants je vais demander, pour te dire. » Ce qui n’était pas un mensonge. Ethan, Bobby ou Jimmy. Telle était la question. Elle n’avait jamais eu envie de s’engager, et ce n’était pas maintenant que le seul homme qu’elle ait jamais aimé, malgré son âge, allait se marier, que cela changerait. « Comme ça se passe dans ton école ? » « Très bien. J’adore ça. » répondit elle, un sourire radieux illuminant soudain son visage. Comme si elle avait toujours été faire pour cela. Aaron lui répondit par un franc sourire. Il était clairement ravi de la voir aussi épanouie.

Le téléphone sonna. Ophelia avait demandé à ne pas être dérangée. Elle avait beau adorer sa secrétaire, si elle n’avait pas une bonne raison, elle risquait de le regretter. « Quoi, Alex ? Je suis hyper en retard sur le projet. » « Je sais bien mais c’est une urgence. Mme Evenwood. » « Passe la moi ! » Ophelia blêmit. Si la mère d’Aaron l’appelait au travail, ce n’était pas sans raison. Après tout, elle n’était pas que sa belle sœur et meilleure amie, pas sa femme. « Ophelia, il est arrivé quelque chose de grave. » Tandis qu’elle lui racontait les faits, l’embuscade qui avait couté la vie à Charlie et dans laquelle Aaron avait bien failli mourir, elle eut l’impression qu’un mur de pierres s’écroulait sur elle. Elle n’avait jamais caché à ses amis ses inquiétudes à propos de leurs envies d’être reporter et soldat en zone de conflit. « Avez-vous pu joindre Emily ? » « Elle est en déplacement, elle n’a pas voulu prendre mon appel, j’ai laissé un message. » Bizarrement, ça n’étonnait pas Ophelia. Elle soupçonnait sa sœur d’être hautement infidèle à son mari mais elle avait choisi de ne pas se mêler de leurs affaires maritales. Aaron avait signé pour le meilleur et pour le pire. « Il vient d’être rapatrié à l’hôpital, en soins intensifs. Je suis en bas de ton immeuble. »  La jeune femme sourit. Elle s’était toujours sentie plus proche de la mère d’Aaron que de sa propre mère, qui préférait clairement Emily. Quant à son père, il était bien trop absent et de plus, il estimait que l’argent pouvait tout acheter, même l’amour de ses filles. Ophelia ne s’était jamais comportée comme une enfant aisée et même si son travail lui offrait un train de vie confortable, elle ne se comportait pas comme le reste de sa famille. « Donnez moi cinq minutes, je descends. »

Les médecins assuraient que l’état d’Aaron s’améliorait mais, deux jours après son arrivée, soit presque quatre jours après l’attaque, il n’avait pas encore repris totalement conscience. Parfois il bougeait, marmonnait, gémissait puis replongeait dans un semi coma. Emily avait fini par écouter ses messages. Elle était à Paris et ne pouvait absolument pas rentrer pour le moment. Elle avait entendu le père d’Aaron murmurer à sa femme, pensant Ophelia endormie, que c’était cette dernière que leur fils aurait du épouser. Il n’imaginait pas à quel point elle était de son avis. La jeune femme se sentait totalement perdue. Aaron ne semblait pas décidé à se réveiller et elle n’imaginait pas sa vie dans un monde où il n’était plus là. « Ophelia, ma chérie, tu devrais rentrer te reposer. » « J’ai pris une douche hier soir, je vous assure, je n’ai pas besoin de me reposer. Je ne crois pas que je pourrais dormir, de toute façon. » Elle tenait la main d’Aaron depuis un long moment, lorsqu’elle sentit qu’il la serrait. Elle pensa d’abord que c’était un spasme, lorsqu’il cligna des yeux. Il semblait encore dans le flou, mais il se réveillait. Sans réfléchir, elle se blottit contre lui, sa joue contre celle, rugueuse, du jeune homme, pleurant à chaudes larmes, incapable de se contenir. « J’ai eu si peur, Aaron, si tu savais… » Elle n’écouta pas le reste, ne sentit plus rien. Elle était tellement soulagée qu’il revienne enfin à lui.

Quelqu’un toquait à sa porte. Une sourde panique l’envahit. Qui pouvait débarquer chez elle à… Trois heures du matin. Elle s’était endormie devant la télévision, pour changer. Se levant avec peine, elle enfila un vieux sweat qu’un de ses ex avait eu la judicieuse idée d’oublier chez elle. Elle nageait dedans mais elle était au chaud. « Aaron ? » Elle ne put cacher sa surprise. Elle ne s’attendait pas à le voir. Elle aurait plutôt pensé voir son amant d’homme marié. C’était déjà plus son genre. « C’est toi que je veux. » La jeune femme écarquilla les yeux, mais pas bien longtemps, car il avait fondu sur elle et l’embrassait d’une manière qui disait clairement que ce n’était pas un pari idiot mais du sérieux. Elle l’enlaça et l’attira à l’intérieur… Ce fut un timide rayon de soleil qui la réveilla le lendemain matin. Elle était… Nue. Lovée contre un corps d’homme, guère plus habillé, et ils étaient enveloppés dans l’épais plaid qu’elle utilisait pour ses soirées télévision en solitaire. Tout d’un coup, les événements de la veille lui revinrent. Enfin, de quelques heures plus tôt, en réalité. Il était presque huit heures du matin. Et elle avait passé quelques heures dans les bras d’Aaron.

Contre toute attente, cela s’était reproduit. Cela avait duré, même. Aaron ne plaisantait pas en disait que c’était elle qu’il voulait. Il le pensait vraiment. Il l’aimait, l’avait toujours aimée, en réalité, et n’avait épousé Eùily que parce qu’il pensait que ses sentiments pour Ophelia n’étaient pas réciproques. Ils avaient perdu tant d’années parce qu’ils n’avaient jamais osé parler de ça, alors que c’était tellement important. Mais depuis un an et demi, ils rattrapaient le temps perdu. Rapidement, trop rapidement même. « Ophelia, est ce que tout va bien ? » Pour seule réponse à son amie et secrétaire, la jeune femme vomit à nouveau. Elle sortit finalement des toilettes, blanche comme un linge. « Cette fois, tu ne me feras pas croire que c’est une indigestion. Ça dure depuis deux semaines. » Ophelia gémit, se rinçant la bouche et passant de l’eau sur son visage. « Tu as combien de retard ? » « Trois semaines. Au moins. » répondit elle, un peu penaude. « Et tu as fait un test ? » Elle secoua négativement la tête. Son amie lui en tendit un. « Tu es une mère pour moi, Alex. » « Tant que je ne suis pas la nourrice de ton mioche, ça me va très bien. » « Je ne suis peut être même pas enceinte… » Alex pencha la tête de côté. Clairement, le test n’était qu’une formalité. « Je t’ai pris un test qui te dit même approximativement la date de conception. » Dix minutes plus tard, elles attendaient le résultat. Ophelia s’était assise, incapable de regarder. Alex lui montra le bâtonnet. Deux barres. Positif. « Oh mon dieu. » « Quoi encore ? » « Six à huit semaines. » Ophelia écarquilla les yeux. Tant que ça ? Elle pouvait encore avorter, même si pas un instant elle n’y songea. C’était l’enfant d’Aaron. L’homme qu’elle aimait, son amant. Et le mari de sa sœur.

Le test ne s’était pas trompé. Elle était bien enceinte de deux mois. Ophelia regarda son profil. A part les vomissements presque tous les matins, elle n’avait rien remarqué. Mais à présent, un mois plus tard, elle avait un mal de chien à refermer ses soutiens-gorge. Et ses petites jupes de tailleur, aussi. Alex la trouvait radieuse, à présent qu’elle ne vomissait plus. Le premier trimestre, avait elle affirmé. Il en avait été de même pour ses deux sœurs, ses cousines et la femme de son frère. Mais Aaron ne savait toujours pas. Elle avait pu l’éviter pendant près d’un mois, mais son absence lui pesait et il n’était pas homme à être mis de côté ainsi. Il avait du être pris par son travail plus qu’il ne l’aurait voulu. Sauf qu’il avait débarqué à l’improviste, plus heureux que jamais de la retrouver. Et elle n’avait rien pu faire de mieux qu’être légèrement froide. « Je suis enceinte. » Se montrer aussi froide lui permettait de cacher la panique qui l’envahissait depuis plus d’un mois. « De combien ? » Il se montrait lui aussi de marbre, et cela n’augurait rien de bon pour la suite. « Trois mois… » marmonna t’elle, mal à l’aise. Ophelia s’attendait à ce qu’il tourne les talons en claquant la porte, mais non. Il avait pris sa main, en lui souriant. Tout irait bien. Elle avait du mal à imaginer que cela irait bien alors qu’il était marié à Emily. Il allait la quitter. Elle avait envie de le croire, vraiment. Un mois s’était encore écoulé, et il était toujours avec elle. Ophelia avait du se résoudre aux tuniques légèrement amples, pour cacher son ventre naissant et sa poitrine plus opulente que jamais. Si c’était compliqué pour Aaron de quitter Emily, il était encore plus compliqué pour elle d’être enceinte, alors qu’elle attendait depuis des mois une promotion. Mais le cabinet de grand standing d’architectes dans lequel elle travaillait n’était pas exactement du genre à promouvoir associée une mère célibataire. Les prochains mois s’annonçaient nuageux, orageux même…