"Papa, Papa, regarde ce que j'ai trouvé pour Maman, des cupcakes en forme de pivoine sa fleur préférée mon dieu quand elle va voir ça !" Je suis là, toute excitée avec mes gâteaux, à quelques pas de la chambre d'hôpital de ma mère. Il est onze heure du matin, nous sommes en novembre et je suis sûre que ma mère va être ravie de voir que j'ai pensé à elle. Je n'ai pas pu passer la voir hier à cause de mes examens de mi-semestre et je m'en veux déjà, alors pour me rattraper je lui ai pris ces petits gâteaux. Je lève la tête vers mon père et je me fige. Il pleure, les larmes roulent sur ses joues. C'est la première fois que je vois mon père pleurer. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Mon coeur s'accélère, je sens ma respiration coupée, j'ai du mal à inspirer et expirer, je vais mourir. Je le regarde. "Jordan je suis désolé..." "Pourquoi t'es désolé ? Comment ça t'es désolé ?" C'est un cauchemar, c'est une blague. Maman allait mieux ces derniers temps, on parlait même de retrouver notre petite maison tout les trois, de reprendre notre vie si affreusement banale mais à la routine tellement rassurante. Ce n'est pas possible, ah ça non, ça n'arrive qu'aux autres. Nous le cancer, on l'emmerde, ça fait deux ans qu'on se bat contre lui et Papa me l'a dit, les médecins l'ont dit ils n'ont jamais vue une famille aussi soudée face à la maladie. "Elle est partie, Jordan, elle est partie ce matin peu après que tu m'ai envoyé un message pour me dire que t'avais réussi ton examen de physique." Je le fixe. Les mots font lentement leur chemin jusqu'à mon cerveau, je comprend leur sens mais je ne veux pas réaliser, je peux pas réaliser que ma petite Maman d'amour, celle qui me fait des bisous dans les cheveux quand je pleure à cause d'un garçon, celle qui m'aide à réviser mon français, celle qui me prépare les meilleures lasagnes du monde, morte. Puis je réalise. Je réalise que c'est terminé. Que nous avons perdus le combat. Le carton de cupcake s'écrase à nos pieds et je me jette dans les bras de mon père. Mon papa. Qui vient de perdre l'amour de sa vie, son amour de jeunesse, celle dont il était tellement proche qu'il l'appelait parfois "Maman" lui-même. Nous sanglotant dans les bras l'un de l'autre, deux infirmières pleurent elles aussi, Jackie et Rose, ça fait deux ans que je leur apporte du café et des donuts, deux ans qu'elles apportent des magasines à Maman et lui racontent les derniers potins du showbiz. Elles aussi ont perdu un peu d'elle-même aujourd'hui. Alors nous sommes là, tous détruits, ravagés par le chagrin. Et à ce moment précis je sais que ma vie ne sera plus jamais la même. Foutu Cancer.



"Bryden, sois sérieux deux secondes : comment je suis censé faire des cupcakes aux pommes si tu passes ton temps à les manger ?" J'essaie de récupérer la pomme que mon cousin vient de voler dans le panier mais impossible. Vous ne savez pas ce que c'est que la difficulté si vous n'avez jamais essayé d'enlever de la bouffe des mains de mon cousin. Ça commence à faire une éternité qu'on habite ensemble et je n'ai toujours pas réussi à concocter un plat sans que la moitié se retrouve dans l'estomac de Bryden avant même la fin de sa cuisson. "T'as qu'à pas les laisser devant moi !" "Parle pas la bouche pleine." Je le regarde pendant que je tourne ma pâte, les yeux plein de tendresse à l'égard de ce jeune homme. Il m'avait tout donné, tout appris. Grâce à lui j'avais repris goût à la vie et mes journées étaient multicolores. Je passais ma vie à lui envoyer des messages, à l'appeler, je sais que ça avait tendance à le gaver mais il terminait toujours par me répondre ou à me poker sur facebook, signe qu'il était encore bel et bien vivant. Notre relation était ainsi : fusionnelle. Je n'étais rien sans lui, il n'était rien sans moi et je m'en étais encore plus rendu compte depuis que je l'avais rejoins à l'autre bout du monde. Je squattais souvent son lieu de travail pour lui parler entre deux clients, quand je ne travaillais pas à la clinique vétérinaire. D'ailleurs c'est lui qui m'a trouvé le job quand je suis arrivée ici. Je vous le dis et vous le répète mon cousin est l'homme parfait. Je lui dis d'ailleurs souvent que dans une autre vie on est sûrement marié avec quatre enfants mais dans la réalité, quand je vois parfois ses réactions pourries avec Rapunzel, je me dis que je suis bien contente d'être sa cousine et que sa cousine. Il est compliqué. Et chiant, parfois, faut dire ce qui est. "Jordan regarde ce que tu fais t'es en train d'en foutre partout." Je lui tire la langue, j'ai toujours été maladroite et casse-cou je le sais mais cette fois je maitrisais, du moins c'est ce que je croyais la plupart du temps. "Laisse moi faire comme je veux Bryden !" je proteste. Je l'aime. Je l'aime tellement fort. Je sais que c'est presque malsain mais je peux pas me passer de lui, il est le frère que je n'ai jamais eu, le meilleur ami que j'ai depuis toujours, mon confident, mon épaule pour pleurer. Ce n'est pas pour rien que je dors chaque soir avec lui, sa présence me réconforte, il a été là au pire moment de ma vie et c'est pour cette raison que toute ma vie je serais à ses côtés. Coûte que coûte.

Bam. Le saladier est par terre. "Putain Jordan je t'avais pourtant prévenue !" Oui bon, la prochaine fois j'éviterais de me plonger dans une longue réflexion sur l'amour que je porte à mon cousin pendant que je fais des cupcakes. Encore une leçon à retenir...