« Bonjour Jynn ! » je m’exclame, essayant de sourire alors que je n’en ai pas la moindre envie. Elle me dévisage quelques instants, enfonce ses mains dans ses poches et répond un simple « S’lut. » J’avale ma salive avec difficulté : je sens que ça va être difficile. Je prends sa valise et l’emmène dans sa chambre, lui propose de visiter les lieux. Là encore, je me heurte à un mur car elle me casse d’un ton sec avec son « Pas la peine, je trouverai les chiottes toute seule. » « Très bien, si t’as besoin de quoi que ce soit, je serai en bas. » Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter de me retrouver avec une adolescente sur les bras, à vingt-cinq ans ? Je sors à peine de mes études et voilà déjà que le peu de calme que je pensais pouvoir trouver est bafoué pour l’arrivée d’une gamine qui a perdu ses parents et qui, je le sens, fera tout pour me rendre la vie compliquée. Jade ne se trompait pas, quelques années plus tôt, quand elle m’a dit que je ne m’en sortirais jamais avec une gamine. Les jours suivants, ce n’est pas plus facile. Elle débarque avec des jeans troués, cigarette à la maison et passe son temps à insulter la terre entière. Elle me rembarre dès que je lui adresse la parole et lui donne un ordre et j’hésite même à la foutre dehors. Pourtant, je finis toujours par me souvenir de la raison pour laquelle j’ai accepté qu’elle vienne : je voulais qu’elle ait quelqu’un qui l’attende à la maison, comme mon oncle et ma tante l’ont fait pour moi durant toute ma vie. Un jour, les choses ont commencé à changer avec Jynn. Elle a reçu la visite de sa tante irlandaise. « Je suis vraiment désolée mon chou, tu dois être triste. » elle lui a dit. Et moi ça m’a énervé, parce que je comprends ce que Jynn ressent. « Ce n’est pas de pitié dont elle a besoin. Elle ne veut pas qu’on lui rappelle son passé et ce pourquoi elle est là. Elle est comme tout le monde, et c’est vers l’avenir qu’elle va. » Et Jynn, pour la première fois depuis des mois, me sourit et me serre dans ses bras avant de fondre en larmes.

Quand Jynn m’a annoncé qu’elle allait devenir mannequin, j’ai eu peur. Anorexie, drogue, ce sont les premières choses qui me sont venues à l’esprit. Mais elle m’a gueulé dessus en bonne et due forme, et j’ai dû me résigner à la laisser faire. C’est comme ça que j’ai rencontré Gabriella. Amie de Jynn, elle travaille comme mannequin dans la même agence. Pour la première fois depuis longtemps, je me suis rendu compte que depuis cette fille, au lycée, je n’avais plus vraiment fait attention à la gente féminine. Je l’ai trouvée belle, douce et gentille, Gabriella m’a beaucoup plu. On s’est fréquenté quelques temps, mais notre relation a vite pris fin. En effet, je l’ai invitée à dîner et les choses ont dérapé entre le plat et le dessert, alors que j’ai laissé Gabriella et Jynn seules. Quand je suis revenu, elle était partie. Jynn a haussé les épaules et a quitté la salle à manger avec son assiette à dessert. J’ai essayé d’appeler Gabriella qui ne m’a plus répondu. En me voyant triste, Jynn a finalement fini par avouer qu’elle l’avait fait fuir en lui racontant que je déteste les enfants et qu’il paraît que je tapais ma précédente compagne. Tissu de mensonges, par pure jalousie. Elle refuse que je puisse reporter mon attention sur quelqu’un d’autre, elle a trop besoin que quelqu’un s’intéresse vraiment à elle. Alors une fois de plus j’ai laissé ma vie privée de côté pour elle. Le temps passant, Jynn devient essentielle à ma vie. Je n’ose même plus imaginer ce que ça fera quand elle volera de ses propres ailes. Un an et elle est majeure. Un an et elle me quitte. Je ne veux même pas savoir à quel point je me suis attaché à cette gamine blonde aux allures de garçon, provocatrice et vulgaire au possible, mais également terriblement courageuse. Je ne veux pas savoir pourquoi je me sens obligé de virer de la maison tous ceux qui partagent son lit et elle se sent obligée de virer toutes les femmes que je fréquente en les dégoutant de moi.