La brise légère vient me caresser la peau, le soleil brille haut dans le ciel. Le bruit des vagues s'écrasant sans la moindre vergogne contre les rochers accompagne mon souffle lent et tremblant. Je ne sais pas où j'en suis. Je ne sais plus où nous sommes. Je sais juste que je vis, et que l'horizon face à moi me tend ses bras accueillants, comme si il cherchait à m'attirer vers lui. Je suis comme le vent. Je suis le vent. Mais le vent vacille, et devient parfois hésitant. Oui, j'ai peur. Peur car je suis à un carrefour de ma vie. Peur car mes espoirs déchus menacent l'équilibre de mes valeurs. Je crains de sombrer à nouveau. De replonger dans les méandres de cet esprit torturé.  Demain m'effraie, me tétanise. Non pas car j'ignore de quoi il sera fait, mais bien car je crains les regrets, goût amer d'un passé trop douloureux. Un passé que j'espère parvenir un jour à oublier.

Le paysage australien défilait à grande vitesse, tandis que la petite fille se cognait contre la vitre, remuée par la route tortueuse. Ses bouclettes brunes tombaient en cascade sur ses épaules frêles, encadrant un visage d'ange. Eleana n'avait alors que sept ans, mais était déjà d'une beauté époustouflante. Secouée par le tumulteux voyage, elle regardait malgré tout par la fenêtre pour tenter d'apprivoiser ce nouveau décor.
Broome semblait bien différente d'Edimbourg, oh ça oui ! Elles étaient loins, les vastes forêts, les petites villes vertes et baignées par la pluie. Tout son quotidien s'était évaporé à l'instant même où l'avion avait quitté le sol, pour s'élever dans le ciel. Elle avait du dire adieu à cette vie qui ne lui déplaisait pas, loin de là. Et désormais, un nouveau départ l'attendait. Nouveau départ, le mot était le bon ...
La fillette souffla. Elle n'était pas dupe, et savait pertinement pourquoi ses parents et elle avaient du quitter la capitale écossaise, et par la même occasion, ce pays où résidaient ses origines. La brunette était percepicace, et à vrai dire, elle n'avait pas cru un instant l'explication de ses parents. Non, les Sutherland n'enménagaient pas à Broome pour se rapprocher de GrandMa, la grande mère maternelle de Eleana, ils avaient simplement laissé Edimbourg pour fuir leurs problèmes. Pour que papa et maman se réconcilient. Pour que cet homme que papa avait surpris avec maman dans la chambre d'ami sorte de leur vie.
Adultère. Eleana ne comprenait pas encore ce que cela désignait, pourtant, elle savait que c'était mal. Enfin, elle ne le savait pas, elle le sentait. Parce que cela rendait papa triste et énervé. Parce qu'il pleurait. Parce que maman criait, larmoyante et ne cessait de répéter des "Pardonne moi." Et une chose dont la jeune enfant était persuadée, c'est que l'on ne demandait pardon que lorsque l'on avait fait quelque chose de mal.
Se redressant, Eleana regarda son père qui conduisait en silence. Broome se dessinait devant eux. L'écosse lui manquait. Ses amis lui manquait. Sa vie d'enfant de sept ans lui manquait également. Pourtant, son destin l'attendait, là, juste devant elle, car même si elle l'ignorait encore, la ville austalienne lui réservait bien des surprises.


Mes pieds tremblent tandis que mes cheveux virevolent sous la brise. Je me sens appée vers ce gouffre, je me sens à nouveau descendre vers les ténébres. Vers mes enfers. Pourquoi ? Pourquoi a-t-il fallu que je sois propulsé dans cette famille ? Pourquoi a-t-il fallu que ma mère me mène vers la décadence ? Oui, c'était elle qui avait tout foutu en l'air ! Vous croyez que c'est simple pour une gamine de grandir au milieu de deux parents qui se déchirent ? On ne sait plus vers qui se tourner. On est faible. Et peu à peu, on s'efface, on cherche à se fondre dans la masse, pour lentement, très lentement, disparaître.


La voix de Kurt Cobain résonnait dans la pièce, et Eleana en augmenta encore le volume. Elle espérait que le rockeur couvrirait les hurlements de ses parents qui, l'étage au dessus, s'insultaient à en perdre haleine. C'était devenu le refrain de la maison. Les cris et les reproches. Et Eleana n'en pouvait plus. Chaque matin, c'était la boule au ventre qu'elle se levait pour aller au lycée. Elle avait dix-huit ans, et une vie bien trop mouvementée. Mais elle n'avait pas le droit de céder à la pression comme ses amis de son âge. Il fallait qu'elle soit forte, qu'elle résiste à ces larmes qui lui brûlaient les yeux. Car la vie semblait s'acharner sur elle.
Cela faisait un moi que son père avait demandé le divorce. Foutu nouveau départ qui n'avait servi à rien. Comment peut-on reconstruire une maison sur des bases instables ? Et malgré les moments hypocrites où les Sutherland jouait à la famille modèle, les rancoeurs s'étaient attisées, jusqu'à exploser le moment venu. Et le moment était venu. Au plus grand malheur de la jeune fille.
Oui, il était évident qu'il valait mieux  que son père quitte sa mère. Pourtant, elle savait ce que cela suggérait. Une fois le divorce prononcé, le père de famille retournerait en Ecosse, loin d'elle, la laissant seule avec la figure maternelle ... N'allait pas croire  que Eleana n'aimait pas sa mère. Non ... Mais elle lui en voulait terriblement. Pour elle, il n'y avait d'autre responsable à ce malheur perpétuel ... C'était à cause de sa mère que la jeune femme s'était peu à peu renfermée, ne s'adaptant pas du tout à cette nouvelle vie, se complaisant dans cette coquille qui alimentait sa timitdé. Sans cette ambiance morbide et pleine de tension, Eleana aurait pu grandir normalement, et jamais elle ne serait devenue cette paria. Jamais elle ne serait senti aussi minable, aussi petite, aussi insignifiante ...
Séchant ses larmes, la jeune fille fit défiler une à une les photos qu'elle avait prise dans le courant de la journée. Réussies, comme d'habitude. Eleana avait un don, cela allait de soi. Chaque photo dévoilait une émotion, elle savait capturer l'éphémérité d'un moment. Et ça c'était la vie qui lui avait appris à le faire. Vous savez, lorsque que vous êtes élévée dans une famille où les moments joyeux sont si rares, vous apprenez à les enregistrer, à les saisir sur l'instant.
La jeune femme esquissa un sourire en regardant son Nikon posé sur la table. Il était son plus vieil ami, le plus fidèle de tous. C'était son père qui lui avait offert, en guise de pardon, et la jeune brunette l'avait directement adopté. D'abord pour se changer les idées. Mais rapidement, il était devenu son moyen d'expression. Lui et sa machine à écrire. Toute sa vie. Après tout qu'avait-elle de plus ? Eleana deviendrait photographe, voilà ce qu'elle s'était promis. Parce que la photo reste. Tout comme les mots.
Un bruit de verre brisée se fit entendre, avant des hurlements indéchiffrables, et la jeune femme s'empara de ses chaussures , éteint sa radio et descendit en trombe les escaliers, étouffant un sanglot. " Je vais chez GrandMa, articula-t-elle sans même être écouté par les figures parentales qui menaient un offensive sans fin. " Eleana essuya une larme, et sortit pour rejoindre la maison de sa grand-mère, deux kilomètres plus loin, où elle se rendait de plus en plus souvent. Elle espérait échapper à ses problèmes, à ses angoisses, pourtant, ce jour ci, c'était ses ténèbres qui l'attendaient à coté de la maison accueillante de GrandMa.

Il me suffit de faire une pas. Juste un pas pour que tout bascule. Oui, j'ai appris que notre destin pouvait prendre un nouveau tournant en une fraction de seconde. Malheureusement pour nous. Malheureusement pour moi. Je vous le dis maintenant, avant qu'il ne soit trop tard, avant que je ne décide de basculer dans le néant, avant de prendre ce risque, la vie ne nous fait aucun cadeau.


Elle pleurait. Eleana marchait lentement, ses cheveux longs et brillants ramassés en un chignon, et les larmes dévalaient ses joues roses pour s'écraser sur ses lèvres vermeilles. Elle ne pouvait en supporter davantage, c'était trop dur. Et sa carapace se fissurait lentement. Elle avait beau eu tout essayer, elle ne parvenait plus à s'y faire. Eleana était un être détaché, pourtant cela lui tenait bien trop à coeur. Et à vrai dire, elle n'était pas encore celle qu'elle allait devenir. Elle n'était pas encore aussi fugace que l'air.
Pénétrant dans le jardin de GrandMa, elle réprima un sanglot, et saisit son appareil pour photographier une feuille qui vint se poser un instant sur le museau de Snouki, le chien de la vieille dame. " Je ne savais pas que ce genre de spectacle était aussi émouvant. " Une fois suave, grave mais douce, sucrée et rassurante. Eleana sursauta, avant de se retourner pour découvrir un charmant jeune homme au regard ténébreux. Il était brun et son visage était charismatique. Il dégageait un charme monstrueux, il semblait mystérieux, comme un mirage.
Eleana remit en place un mèche et tenta de recouvrir ses esprits, repoussant son chagrin pour esquisser un sourire. " Je suis une hypersensible, fit-elle avec ironie. " Le mystérieux jeune homme sourit avant de faire un pas vers elle. " C'est un très bel appareil photo que vous avez là. " Eleana ne savait pas trop quoi répondre, elle n'avait pas l'habitude de parler aux inconnus, et sa timidité n'arrangeait rien. " Merci, se contenta-t-elle d'articuler. " Et c'est à cet instant que leurs regards se croisèrent. Et la jeune femme comprit que c'était la rencontre qui allait changer sa vie, qui allait la rendre elle même, que c'était lui. Cela paraissait idiot, mais pourtant, elle aurait cru qu'une force supérieur l'attirait vers le jeune homme. " Que faites vous chez ma grand-mère ? " L'inconnu désigna la maison de GrandMa. " Maggie est votre grand-mère ? Je m'appelle Noah, je suis écrivain, j'appartiens au groupe de lecture pour les personnes âgées. Vous savez, ils se sentent bien seuls parfois ! " Elle hocha la tête sans piper mot. Eleana était comme hypnotisée, ou du moins trop surprise pour ajouter quoi que ce soit. Et visiblement, Noah s'en rendit compte puisqu'il esquissa un sourire, et se dirigea vers l'extérieur du jardin. " Bon, je crois qu'il est tant pour moi de vous laisser rendre visite à votre grand-mère. J'ai été ravie de vous rencontrer .... " Il laissa sa phrase en suspend, attendant visiblement que la jolie jeune femme lui donne son nom. " Eleana, je m'appelle Eleana, fit-elle d'une petite voix. "

Cela ne pouvait pas se finir ainsi, non, ce n'était pas possible. J'avais la certitude que j'allais le revoir, que c'était mon destin. Stupide nunuche que je pouvais être ... Pourtant, c'est ce qu'il se produisit. Il était ma première vraie histoire d'amour. Et vous ne pouvez imaginer à quel point cette relation m'était vitale. Pour oublier ma famille, pour oublier que mon père partait loin. Et pour me sentir en vie. Pourtant, la vie n'est qu'une suite de rencontres qui se soldent par des adieux.

La chaleur. Dévorante, ardente, écoeurante. Eleana suffoquait, la gorge étouffée par les larmes. Elle n'en pouvait plus, elle était à bout. Comme si la vie lui avait dit d'aller se faire foutre, après lui avoir fait miroiter un avenir meilleur. Des parents qui ne s'adressent même plus la parole. Une mère qui refait sa vie avec une pourriture, un père à l'autre bout de monde, et elle. Au milieu de cette hécatombe. Délaissée par tous. Elle avait bien essayé d'être celle qu'elle avait toujours été, disparaissant dès que les choses tournaient au vinaigre. Pour réapparaître quand tout serait arrangé. Et ça aurait pu marcher. Si seulement Noah ne l'avait pas laissé ainsi. Sans aucune explication. Et avec lui, elle ne pouvait faire semblant. Et surtout elle ne pouvait pas être le vent. Parce qu'elle était trop attachée à celui qui avait su combler le manque qu'elle éprouvait. Le manque de l'enfant mis de coté.
Le vent .... Eleana murmurait à travers les sanglots. Elle finit la bouteille de whisky, la balançant contre le sol, et titubant jusqu'à se cogner contre le mur. Elle avait complètement disjoncté. Et désormais rien n'avait plus d'importance. Elle voulait redevenir le vent. Elle voulait fermer les yeux. Et parvenir à s'effacer comme elle savait si bien le faire. Elle désirait pouvoir oublier tout ses visages, toutes ces paroles, tout ces moments. Mais c'était dur.
Sa vision commençait à devenir flou, et elle avait mortellement envie de vomir. Devant elle, Broome. Du moins, ce qu'elle parvenait à en voir. Elle avait besoin de s'allonger, sinon elle allait tomber. Doucement, elle s'étendit, et ferma les yeux. Son esprit quitta peu à peu son corps, tandis qu'elle débutait sa descente aux enfers.

Pourquoi suis-je toujours obligér de me remémorer ce passé ? Pourquoi cela me rattrape toujours ? Je suis faible, tellement faible. Hôpital psychiatre. Voilà ce qu'il m'est arrivé. Quand tout à foutu le camp dans ma vie, j'ai complètement disjoncté. Et j'ai sombrer dans la folie, dans la paranoïa, dans la dépression. Pendant un an entier je suis restée dans cette hôpital. Avec une visite tout les mois. Et jamais de Noah. On dit qu'il n'est pas bon de ressasser le passé pourtant ... J'en suis victime. Même si tout va bien aujourd'hui. Même si je suis photographe et que j'ai des amis que j'aime et qui m'aiment. Même si je suis redevenue la fille stéréotypée que j'étais autrefois. Celle que personne ne peut saisir, ne peut cerner. Mais vous savez, derrière les souvenirs, la nostalgie n'est jamais loin. Et parfois le matin je me réveille triste, et blasée, alors je me répète ce qui m'a permis de m'en sortir. Ces quelques mots qui me donnent le courage de ne pas vivre dans le passer. Tu dois disparaître Eleana, t'envoler. Et continuer d'être celle que la vie a fait de toi. L'insaisissable.