Jasper & Eleana

BIP BIP BIP. Je sortais en trombe de ma petite salle de bain pour aller éteindre ce foutu réveil, manquant de trébucher sur un de mes objectifs qui trônait sur le sol comme pour me narguer et me pousser à ranger un peu mon misérable appartement. Bien qu'ordonnée, j'étais complètement en train de me laisser envahir par le travail, et par la même occasion, par mon matériel sous lequel je commençais sérieusement à couler. Depuis plusieurs mois, j'avais décidé d'augmenter les commandes photographiques, autant par manque d'argent que par volonté de me changer les idées. Vous savez ce qu'on dit, quand on bosse, on ne pense à rien d'autre ! Un dicton auquel j'avais cru pendant un petit moment, mais qui en réalité, n'était qu'une illusion. Insomnie, vous connaissez ? Et bien désormais c'était mon quotidien, et les somnifères semblaient impuissants. Chaque nuit je me réveillais en sursaut et trempée, tandis que se mélangeaient encore dans mon esprit les images de Noah, de mes parents en train de s'engueuler, ou encore de ce stupide asile qui somme toute m'avait bien aidé. Il me fallait alors plusieurs minutes pour chasser ses pensées qui paraissaient vouloir me coller à la peau, rester en ma chair, comme un goût amer dont on ne parvient à se défaire. Bref, je ne dormais pas - ou très peu - et c'est ainsi que je me retrouvais sous la douche, une bonne demi-heure avant que mon réveille ne sonne.

Arrêtant ledit réveil, je finis de me sécher avant d'enfiler un chemisier en feutrine par dessus un jean moulant en stretch. La parfaite allure de la jeune photographe modèle, alors qu'en réalité, je n'étais qu'une brise qui s'envolait quand le vent tournait, une espèce de folle qui avait passé un an de sa vie dans un hôpital psychiatrique pour dépression, et début d'alcoolisme.
Je pouffai avant de détacher mes cheveux qui tombèrent en cascade sur mes épaules. Un coup d'oeil dans le miroir, puis je m'emparai de Gigi, mon fidèle appareil photo, et je partis en chasse. Rien de tel que le levé de l'aube pour prendre quelques photos. C'était mes moments privilégiés, ceux que je me réservais pour exercer ma passion. Loin du boulot, loin des tracas, et loin des démons du passé.

Fredonnant comme une enfant idiote, et bercée par les quelques flashs de Gigi, je marchais lentement, respirant l'air frais, scrutant les premiers rayons de soleil qui montraient le bout de leur nez. C'était agréable, tellement reposant ! Bon sang ce que ça faisait du bien ! Je ne pus alors m'empêcher de sourire, continuant de marcher sans trop savoir vers où j'allais. Ce n'est que lorsque j'achetai le journal du jour que je me décidai à me diriger vers le Bedford Memorial Park, dans le Northeast. Pourquoi ? Je n'en savais rien, mais j'en avais seulement envie. Sans doute car aucun souvenir douloureux n'était attaché à cet endroit là.

Pas après pas, je parvins à ma destination, et je sus alors que les photos seraient magnifiques ! La luminosité semblait parfaite, tout comme le paysage qui dégageait quelque chose d'étrange en cette heure hâtive du matin. Je me posais sur un banc un instant pour analyser toute les possibilités photographiques, puis je renonçai. Sincèrement, ce que j'aimais dans la photo c'était ce coté spontané, et là, ce que je faisais n'avait plus rien de spontané. Déformation professionnelle, sans doute. Je me levai alors, fermai les yeux, respirai un instant, et lorsque j'ouvris les yeux à nouveau, tout paraissait différent.

Sans plus attendre, je saisis plusieurs clichée, comme emportée dans une sorte de frénésie où le bruit de flash martelait le rythme. Je tournai, me baissai, me stabilisai, j'effectuai comme une danse, tel un hommage au dieu de la pellicule. Et soudain, je percutai de plein fouet quelque chose de dur et grand. Enfin quelqu'un quoi. Je levai la tête et me confondis en milles excuses. " Oh bon sang, je suis désolé ! Excusez moi messieur je suis tellement maladroite, je ne vous avez pas vu. " Je bredouillai telle une enfant que l'on surprend à faire une bêtise, pourtant quand le jeune homme se retourna, je ne pus que rester interdite. Ces traits, je ne les connaissais que trop bien, et à vrai dire, je les évitais depuis bien longtemps. Vous savez, parfois vous regrettez de vous être comporté aussi lâchement, aussi naïvement. " Jasper, je ... Excuse moi. " Quelle idiote, pourquoi débitai-je toute ces absurdités ? J'étais tellement surprise que j'en perdais mes moyens, et je me retenais même de fuir. Ah ! Cela aurait été plus simple, fuir, mais pour une fois, je n'avais pas le droit de me comporter comme la brise, il était temps que je me confronte à Jasper, que je me confronte à mon existence.

code by rainbow

Spoiler:

Jasper bossait aujourd’hui, comme tous les jours depuis quelques temps. Sa petite sœur, d’ailleurs, n’hésite pas à lui rappeler que son train de vie n’était pas sain, et qu’un jour ou l’autre, son corps le lâcherait. Et il lui répétait tous les jours « ce ne sera pas demain la veille ». Pourtant elle avait bien raison. La journée, il bossait soit en tant que flic, soit en tant que pompier, quand il manquait d’effectif. Avec le climat chaud de l’Australie, les incendies se déclaraient très vite, et les pompiers se devaient d’intervenir le plus vite possible, avec un nombre d’hommes acceptables. Aujourd’hui, il avait revêtu sa tenue de flic. Pas pour autant qu’il avait la vie existante d’un jeune policier comme dans les séries télé - que sa grand-mère regardait tous les jours- , Manhattan, Miami, … tout y passait. Et à chaque fois, qu’il revenait diner chez eux, elle lui disait que son travail était trop dangereux. Elle avait évidemment tort. Son travail consisté à patrouiller dans le secteur. A ce moment-là, il était en pose, son coéquipier était parti se chercher un donuts et un café, et reviendrait surement dans très longtemps, vu qu’il avait des vues sur la serveuse. Après tout, il ne pouvait pas râler, lui et les filles, c’est une autre histoire.

Il s’était alors décidé à se promener dans le parc, le Bedford mémorial. Cela avait toujours été un de ses parcs favorise, surement car il était le plus calme et celui avec le moins de problème. Et aussi parce qu’il devait éviter la moitié de la ville… la dernière fois il était tombé sur une fille, qui apparemment, il avait eu le temps d’un soir, et qui apparemment, n’avait pas compris que ce n’était que pour ce temps-là. Cela aurait pu se passer parfaitement, si Jaze n’avait pas, malencontreusement, oublié qu’il l’avait déjà dragué, et qu’il n’avait pas tenté de la re-draguer ce jour-là… Il savait qu’il abusait, il savait qu’il devrait se poser, trouver une femme qui le supporterait. Mais c’était sa cure à lui, c’était comme une drogue. Il avait pris l’habitude de sortir tous les soirs, de trouver une fille chaque soir, de la ramener chez soi, son petite appartement qu’il partageait avec sa petite sœur, qui devait en voir trop… ou bien souvent de la suivre chez elle, de partir aux premières heures du jour, pour « combattre le mal ». Si il ne sortait pas, il pensait, il pensait trop le soir, alors qu’il ne faisait rien, et le lendemain, parce qu’il n’a pas ce mal de tête, cette apaisement de la veille qui l’empêche de remuer ces pensées trop douloureuses…

Il était là planté, au milieu de ce parc, à regarder l’horizon, un moment  de répit, un moment de calme, de pose dans sa vie, qui,  sa sœur avait surement raison, était trop tumultueuse…
" Oh bon sang, je suis désolé ! Excusez-moi monsieur je suis tellement maladroite, je ne vous avez pas vu. " Il n’avait pas eu le temps de la voir la jolie jeune femme qui venait de le bousculer. Il était tellement perdu, et dieu sait comme c’était rare, qu’il eut un moment d’adaptation à la situation. La jeune femme lui présentait ses excuses, les mots réflexes, allaient alors sortir de sa bouche tels que « pas grave » « cela arrive » « je n’ai rien ». Mais il nous pas le temps de les prononcer qu’il entendit son prénom, son réel prénom. " Jasper, je ... Excuse moi. " Cela faisait longtemps que quelqu’un ne l’avait plus appelé comme ça. Il se présentait souvent sur le nom de Jaze, tellement que lui-même se perdait lorsqu’il devait remplir des formulaires officiels. Seuls sa grand-mère perpétuait à l’appeler de la sorte. Et ses amis proches, eux, s’amusaient à l’appeler Björn, son deuxième prénom, qu’il préférait cacher à la population générale. Il leva alors enfin la tête sur le petit bout de jeune femme qui venait de le percuter. Eleana. En personne. Cela faisait tellement d’années… ils ne s’étaient plus jamais revues, enfin il avait tout organisé pour l’éviter le plus possible, et il supposait qu’elle faisait de même. Sa première copine, sa seule et unique réellement sérieuse, son premier amour… Il avait envie de se réveiller là, d’entendre son collègue se marrait à côté parce qu’il s’était endormi dans une position bizarre. Mais il ne se réveilla pas. Elle était là, elle ne partit pas, il ne partit pas. Pourtant il en crevait d’envie, pourquoi il était resté ? Sa fierté d’homme peut-être… quoi qu’il en soit, il lui faisait face. « Eleana… Ca… heuu… ça fait bizarre »… il regretta ses mots directement. Lui qu, habituellement, était si adroit avec les femmes, se retrouvait comme un jeune home à peine pubère devant elle… “ Je veux dire… ça fait longtemps…” Il lui en voulait, toujours, au fond de lui, elle l’avait détruit, rejetté, remplacé. Il se sentait, misérable.