Le sable blanc, l'air marin, la cadence monotone de la marée et le roulis impressionnant des vagues. Cela ressemble à Los Angeles, sans y ressembler. C'est L.A, sans réellement l'être. Mais ce n'est pas si différent, n'est-ce pas ? C'était ce que se répétait inlassablement Oprah, petite tête d'une dizaine d'années ornée de longs cheveux couleur de blé. Debout sur une pile de livres qu'elle avait soigneusement installé près de la rambarde de sécurité du balcon -étant encore trop petite pour voir au-dessus de celle-ci-, la petite princesse aux yeux d'azur observait son nouvel environnement d'un œil dubitatif.
« Alors mon cœur, notre nouvelle maison te plaît ? » la petite tête blonde ne prit même pas la peine de tourner son visage vers son interlocutrice, elle était pourtant belle sa mère à cette époque, avec ses longs cheveux de jais et sa peau brune, habillée d'un tailleur encore plus cher que celui d'hier.
« Elle est plus petite que l'ancienne... » Oprah était déjà habituée depuis bien longtemps au luxe qu'offrait une des plus grandes demeures de la cité des Anges, et malgré que cette villa ait la capacité d'héberger quatre familles nombreuses elle lui semblait des plus ridicules. Bien que ce soit plus par bouderie que par réelle opinion sur l'endroit en lui-même. Elle n'avait que dix ans, avec ses lèvres roses et ses cheveux de poupée, elle était riche et chanceuse mais elle se sentait comme la petite fille la plus malheureuse au monde. Ce n'était pas le fait même de déménager qui la rendait si triste, ni même le fait d'avoir dû quitter tout ce qu'elle connaissait par simple caprice de la part de sa mère, c'était uniquement parce qu'elle avait l'impression de n'être qu'un simple bagage parmi tant d'autres.
« Je sais que L.A va te manquer, mais tu verras, tu finiras par t'habituer à la vie ici. Regarde-moi ces paysages ! Ici, je vais pouvoir pratiquer mon art avec joie. » Annabella Glory Crawford était une célèbre photographe toujours à l'affût de la perfection. Malheureusement, si Oprah est une princesse, sa mère est une reine des plus capricieuses. Son mari n'ayant ni le temps, ni la patience de s'opposer à elle, il lui cède absolument tout. Partir de Los Angeles pour s'installer en Australie sur un simple coup de tête ne fut pas la seule requête égoïste qu'elle fut, il suffit de regarder Oprah. Le simple fait d'avoir un enfant fût un caprice, d'où le premier prénom de son cher bijou d'ailleurs. Cela ressemblait à quelque chose comme ça ;
« Je veux un enfant, maintenant, tout de suite ! J'en prendrais grand soin, c'est promis ! Alleeeer... » et son époux a abdiqué. Pourtant, elle ne s'est jamais réellement occupée d'Oprah. Ayant trouvé cela bien trop difficile de s'occuper d'un jeune enfant, elle a confié la petite à de nombreuses nounous chargées d'être aux petits soins avec sa chère fille.
« C'est parce que papa ne nous aime plus qu'il n'est pas venu avec nous ? » En réalité elle savait pertinemment que des deux, c'était son père qui l'aimait le plus. Il était juste trop occupé avec son boulot. Et elle savait également qu'elle passerait toujours au second plan face à l'industrie Crawford dans l'esprit de son père. C'était sans doute le prix à payer pour avoir des robes dignes des plus belles marquises, des bijoux à la beauté étincelante ainsi que tout ce luxe dans lequel elle baignait depuis toute jeune.
« Mais non, ce n'est pas qu'il ne nous aime plus. Ton père est juste un idiot toujours pris par son travail, tu sais bien qu'il ne pense qu'à ça ! Bref, Gwendolyn a terminé de préparer ta chambre. Va te débarbouiller avant de passer à table. » Oprah tourna enfin son visage angélique vers sa génitrice qui, elle, regardait avec intérêt un book photos de divers paysages australiens. Hésitante, la petite froissait nerveusement sa robe, n'osant poser une question dont, au fond d'elle, elle savait la réponse.
« Tu manges avec moi aujourd'hui ? » Un soupir s'échappa des lèvres cinabres de Madame Crawford, levant enfin ses yeux du book pour regarder sa chair et son sang
« Caprice, tu sais pourtant que je n'ai pas le temps !... D'ailleurs, je dois partir maintenant si je ne veux être en retard pour mon premier boulot. Aller, je te laisse, à demain sans doute. » Un vague signe de la main, le vacarme de ses talons hauts s'éloignant peu à peu et la porte qui claque. Elle se trouvait désormais seule sur le balcon. Oui, c'était sûrement le prix à payer pour être née Caprice Oprah Crawford.
« Bien sûr que j'ai déjà fumé ! » La petite blonde qu'était Oprah à 12 ans n'avait pas sa langue dans sa poche. Face au petit brun d'une année de plus qu'elle, elle ne s'empêchait pas d'hausser le ton pour prouver qu'elle était une vraie femme. Malheureusement, c'était un mensonge. Juste une manière d’impressionner le garçon plus âgé à ses côtés. Timothy Stain Walker. Stain, pour faire plus simple -surtout qu'il râlait quand il entendait son premier prénom.- était un jeune brun à peine plus vieux qu'elle qui habitait dans un des nombreux quartiers de Broome. Elle l'avait connu par hasard quand celui-ci avait balancé -malencontreusement- un pétard dans le jardin des Crawford. Sa mère lui avait évidemment interdit de l'approcher. Sa chère fille fréquenter un garçon de classe moyenne dont tout un tas de rumeurs sordides circulaient sur sa famille ? Et puis quoi encore ! L'inciter à la drogue ? Enfin bref. Le genre de réaction pompeuse qu'ont les parents bourgeois. Malheureusement, Oprah ne put s'empêcher d'être intriguée par la gamin. Depuis le jour du pétard, ils se voyaient « secrètement » dans un petit parc à l'abri des regards. En réalité, Oprah ne se souvient guère de la raison pour laquelle ils avaient sympathisé. Mais ils s'étaient accrochés l'un à l'autre, et ils ne rataient jamais un rendez-vous. C'était leur manière de décompresser. D'entrer dans leur petite bulle à eux. Le moyen pour Oprah de quitter sa villa avec l'excitation de braver un interdit.
« Ah ouais ? Ben tire alors ! » Stain était un garnement. Il faisait des farces, répondait aux adultes, envoyer se faire voir les règlements et sembler passer sa vie en vadrouille. Tout ce que la princesse Crawford n'était pas. Il fumait, il commençait même à boire et ne s'empêchait en aucun cas de consommer de la marijuana lorsqu'il traînait avec ses potes plus âgés. Il lui tendait la cigarette, les sourcils haussés en une mine peu convaincue par les propos de la jeune blonde. Et il avait raison. Il savait très bien qu'Oprah était une princesse pourrie gâtée qui ne ferait jamais rien de mauvais dans sa vie hormis épouser un autre gosse de riches qui finirait bien par la tromper avec la jolie et sexy femme de ménage... ou avec sa secrétaire. La plus jeune prit son courage à deux mains, voulant prouver qu'elle n'était pas une simple gamine riche. Elle prit la cigarette entre deux doigts, l'approchant de ses lèvres, humant cette forte odeur qui imprégnait rapidement les tissus. Elle déglutit difficilement avant de placer le bâton de nicotine entre ses lèvres, finissant par aspirer un grand coup sur celui-ci avant de s'étrangler avec le goût amer de la chose, sous les rires incessants du petit Walker.
« Ah oui ! Je constate, tu fumes depuis longtemps, t'es même vouée au cancer, haha ! » elle fronça les sourcils tout en terminant de cracher ses poumons avant de se lever pour écraser la cigarette à peine commencée sur un arbre, sous le regard scandalisé de Stain. Il se leva d'un coup, la mine renfrognée
« T'es dingue ? C'était ma dernière cigarette ! Ça pousse pas sur les arbres, hein ! » Elle laissa tomber la clope à terre, l'air penaud, lui souriant -presque- innocemment.
« J'ai décidé d'arrêter. C'est mauvais pour la santé. Et comme je ne veux pas que tu attrapes un cancer, je t'aide. » elle haussa les épaules comme si tout ceci était complètement logique. Le brun fronça les sourcils, croisa les bras et commença à quitter le petit parc, l'air furibond.
« J'me casse ! J'en ai marre de la princesse Caprice ! » elle le regardait s'éloignait, une boule se forma au niveau du ventre de la blonde
« Tu ne peux pas me laisser ! Tu dois me raccompagner ! Et si je me faisais kidnapper et violer ? » en réalité elle s'en moquait. Elle ne voulait simplement pas qu'il soit fâché contre elle. C'est tout. Mais elle était déjà trop fière pour l'avouer.
« J'm'en branle ! » le brun quitta le parc en fulminant, sans se retourner. Pour qui se prenait-elle, après-tout ? Elle n'était pas la reine, et sa gueule d'ange ne pouvait pas la sauver à tous les coups. Bien qu'il faille avouer qu'il l'avait toujours trouvé très mignonne. Mais ce n'était pas la question. Cette cigarette écrasée était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Plus il avançait dans la rue, plus il ralentissait, plus sa colère redescendait. Il se stoppa net au milieu du chemin avant de se retourner vivement pour courir jusqu'au petit parc. Elle était sans doute partie, il n'avait pas à s'inquiéter. Elle était rentrée. Ou alors elle avait appelé sa bonniche pour qu'elle vienne la chercher. Elle devait être dans sa chambre en train de fulminer contre lui... non, il voulait qu'elle soit là. Alors il courut vers l'entrée de leur lieu secret, évitant un dérapage qui aurait pu mal finir, et se mit à regarder dans tous les coins avant de tomber sur une forme près des buissons. Il aurait pu la reconnaître entre mille petites têtes blondes. Son frêle corps replié contre lui-même, ses longs cheveux d'or lâchaient autour d'elle, ses sanglots incontrôlés qui s'élevaient dans les airs. Il s'approcha tout doucement d'Oprah, celle-ci relevant la tête immédiatement avant de prononcer d'une voix cassée, les joues trempées
« Je suis désolée Stain... ».
Au final, ils s'enlacèrent pendant une dizaine de minutes, manière à eux d'oublier toutes les vilaines choses qu'ils avaient pu faire ou dire à l'autre. Une simple étreinte qui fonctionnait comme une ardoise magique. Stain était un jeune voyou, Oprah une princesse. Au fond, leurs chemins ne devaient jamais se croiser. Mais, désormais, Oprah n'arrive plus à imaginer sa vie sans que Stain n’apparaisse à un moment ou un autre dans la trame principale.
Un petit caillou... deux petits cailloux... trois petits cailloux... et une vitre brisée. Il faisait nuit, totalement et complètement nuit. Sombre, comme si le soleil n'avait jamais existé, et triste comme s'il allait pleurer. En réalité, l'humeur du ciel d'aujourd'hui en disait long sur la météo de demain. Il était pourtant rare qu'il fasse gris, ici, à Broome sur une des côtes australiennes. Mais tout peut arriver après tout. Ce soir-là, la princesse aux longs cheveux blonds ne dormait pas. Malgré l'heure, malgré ce temps de chien et malgré la fatigue qui commençait à engourdir ses membres. Elle ne dormait pas malgré ses quinze années qui lui demandaient un minimum de repos. Elle ne dormait pas pour la simple et bonne raison qu'elle l'attendait, allongée sur son grand lit à baldaquin. Oui, lui. Le mauvais garçon, la tête brûlée, le casse-cou... il était pourtant si rare qu'elle reçoive un SMS de lui. Habituellement -contrairement à autrefois- elle ne le voyait pas régulièrement. Stain faisait partie des personnes qui avaient besoin de liberté, de s'évader loin de leur vie merdique et de n'agir que par eux-même. Cela faisait presque deux mois qu'elle n'avait plus de nouvelles. C'était toujours lui qui venait à elle et jamais l'inverse. Il ne lui avait jamais dit où il résidait, ni où est-ce qu'elle pouvait le trouver, ni même comment savoir s'il allait bien. Cela faisait bien longtemps qu'elle avait cessé de lui envoyer des SMS, il ne répondait jamais. Et les coups de fil finissaient toujours par mener à la boîte vocale par défaut du cellulaire que le brun possédait. Au final, cela la vexait tellement qu'elle se disait qu'elle s'en foutait totalement de sa pomme et qu'il pouvait bien avoir des problèmes, ce n'était en aucun cas le sien. Malheureusement, elle ne pouvait le nier, dès qu'il partait il lui manquait. Elle avait tout tenté depuis qu'elle le connaissait pour le garder auprès d'elle. L'acheter avec des fringues, un nouveau téléphone portable, un briquet de marque et même un blouson en cuir qu'il désirait depuis qu'ils se connaissaient. Il avait toujours tout refusé. Même les cadeaux les plus luxueux. Il s'en foutait. Il se moquait presque d'elle quand elle souhaitait lui acheter quelque chose. Au final, bien qu'elle ne l'avouerait sans doute jamais devant lui, le fait qu'il refuse de rester avec elle lui faisait bougrement mal. Elle avait l'impression d'être insupportable, avec son petit caractère de bourge, à ses yeux. Elle le trouvait égoïste de ne venir que lorsqu'il en avait envie alors qu'il n'était jamais là quand elle avait envie de le voir. Pourtant, elle savait pertinemment qu'il avait -étrangement- toujours été là lorsqu'elle se sentait aussi seule qu'abandonnée et ,qu'au fond, c'était elle l'égoïste qui souhaitait juste le garder pour elle comme une enfant garderait jalousement son doudou. Ça avait toujours été un peu ça ; Stain était un lapin -ou tout autre bestiole mignonne- en peluche qu'elle ne voulait partager avec personne, malheureusement le doudou en question ne pouvait pas tenir en place un instant. Alors elle l'attendait, patiemment, sur son lit, le cœur battant au rythme d'une locomotive affolée. Sa mère lui avait interdit il y a bien longtemps de le revoir -le qualifiant de mauvaise fréquentation- mais elle s'en moquait éperdument. Et puis elle ne serait bientôt plus là, sa mère. A cette pensée son cœur se serra si fort qu'elle crut l'entendre imploser. Elle allait partir. Partir loin. Sans elle.
Elle ne voyait plus son père et elle ne verrait plus sa mère. C'était peut-être la vraie raison pour laquelle elle avait envie de le voir. Non pour lui, pour savoir s'il va bien, mais juste pour se faire consoler du départ de sa génitrice. C'était peut-être ça, après-tout. Les pensées de la demoiselle furent bien vite interrompues par un bruit de verre cassé. Elle se leva immédiatement de son lit royal pour enfiler ses chaussons en fourrures avant de sortir de sa chambre pour pénétrer dans le couloir du deuxième étage. On pouvait entendre des pas au rez-de-chaussée, se rapprochant, s'éloignant avant de stagner à un endroit particulier. Elle descendit les marches du grand escalier quatre par quatre, manquant de glisser et de tomber la tête la première. Pourquoi tant de précipitation ? Maintenant qu'il est là, il n'allait pas s'en aller tout de suite. Mais c'est ce qu'Oprah redoutait avec le jeune Walker, qu'un instant il soit présent et la seconde d'après...
un simple souvenir. Alors elle se pressait, arrivant au rez-de-chaussée, essoufflée et ayant la désagréable impression d'avoir couru un marathon, elle s'offrit quelques secondes pour reprendre son souffle avant de constater qu'une des vitres de l'entrée était brisée. Il aurait sans doute pu sonner à la porte. Mais ça n'a jamais été son genre. La lumière allumée de la cuisine attira immédiatement l’œil de la blonde qui ne put s'empêcher de pouffer de rire intérieurement. Elle reprit convenablement son souffle avant de pénétrer dans la cuisine américaine dont sa mère était si fière. Enfin, elle s'en était lassée maintenant,
comme de sa fille.
Il était là. Vraiment là. Voûtant son dos pour fouiner dans le frigo, s'étant déjà permis de sortir une bouteille de vin que la génitrice Crawford avait acheté une fortune -le vin français de haute qualité étant hors de prix- ainsi que deux verres. Oprah ne buvait pas. Il le savait, mais il aimait la taquiner sur le fait qu'un simple verre puisse la mettre K.O.
« Gwendolyn va encore penser qu'on nous a cambriolé. » elle s'était simplement assise sur l'un des tabourets en hauteur qui entouraient le bar de la cuisine, balançant cette phrase d'un ton calme. Trop calme. Beaucoup trop calme comparée à la tornade qui s'abattait dans son esprit.
« J'emmerde ta bonniche. » Il sortit enfin son nez du frigo pour claquer la porte de celui-ci, un bac de crème glacée dans les mains. Elle put enfin voir son visage, son regard perçant, et ses quelques tatouages. Il en possédait un nouveau d'ailleurs.
« Tu ne m'as pas donné de nouvelles depuis longtemps. » elle se mordit immédiatement la lèvre pour avoir sorti cette connerie. Il fallait constamment qu'elle surveille ses propos face à Stain. La moindre petite parole affective étant une faille pour lui faire reconnaître qu'elle ne pouvait plus se passer de lui. Un sourire en coin se glissa sur les lèvres du brun tatoué tandis qu'il allait s'installer au bar en face d'elle.
« Je t'ai manqué ? C'est mignon. Adorable, même. Mais ne t'en fais pas, je mange bien tous les jours et je ne me suis pas encore fait de piercing à la queue. » Elle détestait ça. Vraiment. Sa fierté de petite bourge lui donnait envie de l'étriper pour se foutre d'elle ainsi. Un autre jour elle aurait peut-être ri, ou gueuler, ou simplement souffler d'exaspération. Mais... ce n'était pas le bon jour. Alors elle la ferma, parce qu'elle n'avait rien d'autre à dire. Rien d'autre à exprimer hormis une mine fatiguée et morne. Stain remarqua bien vite ce silence désagréable. Le genre de silence qui prouvait que quelque chose clochait. Que quelque chose n'allait pas. Alors il continua, en prenant son air décontracté habituel. Comme si rien ne le touchait, rien ne l'atteignait, pas même ces bleus qui ornaient ses bras et sa joue.
« J'ai vu des valises dans l'salon. Vous partez en vacances à Ibiza ? N'oublie pas de me ramener des souvenirs, j'pourrais sûrement tirer un bon prix de quelques photos de toi en bikini. » Il souriait, il ricanait. Comme s'il flottait au-dessus de toute cette misère humaine. Tel un nuage qui ne se laissait pas rattraper par toute cette merde qu'était le quotidien. Il avait toujours été ainsi. Pourtant, les commérages vont vite, surtout entre femmes de ménage, et on murmurait tous que la famille Walker n'était pas des plus idylliques. On chuchotait que la mère était réduite à prendre des antidépresseurs pour oublier.
Oublier quoi ? Et que le père n'était qu'un ivrogne qui passait son temps à boire dans le trou à rats du coin. On susurrait même qu'il battait son propre fils. Fils qui n'était qu'un bon à rien qui n'allait jamais en cours. Stain ne parlait pas de lui. Même à Oprah. Pourtant elle s'en doutait en voyant les bleus qui s'accumulaient sur sa peau blanche. Au fond, elle se disait juste que c'était impossible, que cela n'existait que dans les films. Ce n'était que des commérages, il lui aurait dit sinon, n'est-ce pas ?
« Un verre, princesse ? » Son sourire en coin restait plaqué sur son beau visage. Elle se trouvait immonde. Stain devait sûrement avoir des problèmes pour disparaître ainsi. Et elle chouinait parce que sa mère l'abandonnait pour son boulot.
Abandonner. Ce mot résonna si fort dans son crâne qu'elle crut perdre pied. Comme un choc, une alarme que son âme déclencha par pur instinct. Une manière de stabiliser son esprit. Elle ne répondit rien, elle avança juste sa main jusqu'à celle du jeune homme tatoué, laissant un flot de larmes coulaient paisiblement sur ses joues avant de fondre en larmes sur le bar. Serrant fermement la main de Stain, seul point d'ancrage assez solide pour supporter sa solitude.
« R-... r-res...tes avec m-...moi... » Ses paroles, coupées par ses hoquets et ses pleurs incessants, en devenaient presque incompréhensibles. Mais Stain avait compris. Il avait juste compris l'essentiel. Qu'elle ne partait pas en vacances. Qu'elle se sentait seule. Qu'elle n'avait plus personne hormis son ignoble bonniche et que ces simples mots brisés étaient le symbole de sa détresse. Comme toute réponse il se leva, gardant fermement les doigts de la petite princesse entre les siens, et se dirigeât vers l'escalier. Il ne prit pas la peine d'éteindre la lumière, ni de ranger, ni même de terminer son verre. Il l'emmena juste dans sa chambre, la laissant pleurer tout son saoul en paix, gardant sa main ancrée dans la sienne.
Cette nuit-là elle s'endormit comme une enfant. Une enfant ayant trop pleuré. Paisiblement endormie sur son oreiller en plumes. La main occupée à serrer celle d'un mauvais garçon, endormit à ses côtés, qui prenait soin de la princesse qu'elle était.
Au final, tout ça n'était peut-être jamais arrivé. C'était peut-être une hallucination sur plusieurs années. Un simple rêve qu'elle faisait tous les soirs. C'est l'explication la plus logique qu'elle p-...
« Non, mais j'te jure ! Tu te rends compte de ce que ce salopard de Bryan m'a fait ?! Et dire que je lui aurais tout donné ! » Oprah soupire, allongée sur son transat au bord de sa piscine, aux côtés d'une... d'une quoi ? Le terme amie ne vint même pas lui effleurer l'esprit. Une connaissance. Peut-être bien. Elle l'avait juste -comme la plupart des personnes qu'elle rencontrait- croisé dans une boîte de nuit et cette fille avait décidé qu'elles s'entendraient bien. Enfin, la princesse s'en foutait. Cette fille n'était pas différente des autres après tout. Elle s'était habituée aux abrutis depuis l'temps.
« Il n'a juste pas fêté l'anniversaire de ton chien, c'est pas si terrible que ça. » Elle en avait marre de ce genre de discussions idiotes qui la faisait passer pour une simple d'esprit. Elle en avait vraiment ras-le-bol. Et cette envie de tout foutre en l'air s'était amplifiée depuis son vingt-et-unième anniversaire. Les sorties dans des soirées de bourges, les cours particuliers que le paternel Crawford l'obligeait de suivre, sa mère qui lui envoyait hypocritement des cartes postales alors qu'elle se tapait sans doute tous les mecs qu'elle croisait, et sa femme de ménage qui l'emmerdait avec ses réflexions désagréables. Ça lui foutait les nerfs. Elle avait envie de tout laisser en vrac. Mais elle ne pouvait pas. Son père comptait sur elle pour reprendre la suite de la compagnie et elle ne pouvait pas lui faire faux bond. Par sur un sujet aussi important pour lui.
« Ah oui ? Et dis-moi ce qui est pire que d'oublier l'anniversaire de mon trésor ? Tu as un chien, toi, tu devrais comprendre ! » Tiens, en parlant de Diamond, où est-il ? Il devait sûrement dormir dans son panier, il faisait trop chaud pour sortir vadrouiller aujourd'hui. Diamond aussi se sentait seul depuis qu'il ne venait plus.
« Le tromper sept fois, par exemple... » Et elle, elle se sentait plus seule que jamais depuis sa « disparition » qui n'en était pas une. La brune dans le transat d'à côté gigotait dans tous les sens pour prouver son agacement.
Quelle idiote.
« Il ne l'a jamais su, alors je ne vois pas où est le problème ! » Au final, Oprah avait cessé de compter les jours jusqu'à sa nouvelle visite. Il ne viendrait sans doute plus. Il n'était peut-être même jamais venu. Elle lui semblait si loin l'époque où ils se voyaient « secrètement » dans leur endroit rien qu'à eux. Elle l'avait pourtant croisé, dans la rue. Impossible de se tromper. Sa taille, ses cheveux bruns, son regard bleu, ses tatouages particuliers et sa manière de se comporter. Elle ne l'avait pas interpellé. Il était pourtant à une simple terrasse de café. Stain l'avait vu. Elle le savait qu'il l'avait vu ce jour-là. Son regard tourné vers elle... mais il n'avait rien fait. Ni signe, ni sourire, ni rien. Il l'avait tout simplement ignoré, prônant l'indifférence. Une indifférence qui avait brisé Oprah en un instant. Ça et la jeune rousse qui l'accompagnait. Sa copine peut-être. Elle ne savait pas comment cela avait pu devenir ainsi. Deux ans, deux ans où ils ne s'étaient plus vu. Elle avait cessé de l'attendre. Cela ne servait plus à rien. Son mauvais garçon était parti, il devait s'être lassé.
On finit toujours par se lasser d'elle. Il n'était pas si loin que ça pourtant. Mais elle avait l'impression qu'il se trouvait désormais à des années-lumière d'elle. Et ça lui rongeait le cœur.
« Il ne savait pas que c'était l'anniversaire de ton chien, alors il n'y a pas de problème non plus, non ? » Désormais, elle trouvait sa vie tellement banale et ennuyeuse. Une vie dépourvut de frissons et d'excitations. Une vie de bourge, quoi. Elle fait semblant de s'amuser en claquant son fric dans n'importe quoi, en allant danser avec d'autres bourges, en bronzant près de sa piscine alors que la plage est juste à côté.
« Oh, c'est vrai ça ! Oh mon Dieu, et moi qui l'ai traité d'enfoiré alors qu'il l'ignorait tout simplement ! Je vais de ce pas l'appeler pour qu'on se réconcilie. » Un faux sourire, un vague signe de la main et revoilà Oprah plongée dans ses pensées, ignorant la brune qui jacassait au téléphone. Dans le fond, c'était peut-être mieux ainsi qu'ils ne se voient plus. Après tout, sa mère lui avait toujours interdit de le fréquenter. C'est vraiment bidon comme excuse pour se rassurer.
Même si elle ne l'attend plus, même si elle n'ose pas venir à lui, même s'il l'a oublié, elle ne peut s'empêcher, en allant promener Diamond, de passer par le petit parc. Le seul et unique petit parc. Leur lieu secret, leur lieu à eux. Et d'y passer une heure entière à secrètement espérer qu'il réapparaisse au coin des buissons, son sourire espiègle au coin des lèvres, les mains dans les poches, la clope sur l'oreille, comme autrefois.
Comme elle l'avait toujours connu.