«  - Allez Leen', présente-toi ! » Excédée par l'acharnement de Dylan, je finis par sortir de sous ma couette, avant de présenter mon plus beau sourire à la petite caméra. « Moi, c'est Coleen, j'ai sept ans ! Je suis née à Broome, je vis à Broome et je vais mourir à Broome. Comme toi Dylan, hein c'est vrai ? Sinon, j'ai un papa et une maman, ils travaillent tout le temps, ils disent que c'est pour payer la grande maison, mais c'est pas grave parce que j'ai Dylan mon frère jumeau ! Allez, arrête de filmer, maintenant ! » C'est vrai que maman et papa ne sont jamais là, ils partent très tôt le matin et ils ne reviennent que tard le soir, ce sont les affaires. Souvent, je dors déjà quand ils arrivent, ils nous embrassent sur le front et s'en vont. Il y a des soirs, où ils arrivent à rentrer plutôt, Dylan se précipite sur eux, mais moi je fais semblant de dormir. Je les entends près de moi, j'aimerais les serrer dans mes bras, mais je n'y arrive pas. «  - Coleen, tu m'écoutes ? », « - Quoi ? » Il soupire et finit par sourire. «  - Je disais que plus tard je serais le plus grand nageur d'Australie et puis je filmerais toute ma vie ! Et toi, tu feras quoi ? » «  - Je serai avocate, je défendrais les grands méchants parce que c'est trop classe. »

« - J'aime pas l'eau. » Bien que nous venions tous les deux d'avoir huit ans, Dylan me surpasse de presque 10cm, il m'attrape par l'épaule et m'embrasse sur le front. Il me prend la main et saute du rocher. Bien sûr que je sais nager, mais si lui passe tout son temps dans l'eau, moi je n'aime pas ressentir cette impression de mouiller et ce goût salé. « - Regarde ma Coleen, on est le six août. Pour notre anniversaire on va jouer à un jeu, tu vois le gros rocher la-bas ? Si tu y arrives en première, plus jamais je ne t'obligerais m'accompagner. Mais si c'est moi, tu viendras à chaque fois que j'en aurais envie. » Jeu cruel, débile et inconscient. Mais j'accepte, parce que mon frère me l'a demandé. À son top, je nage comme je peux, je sais bien que je n'ai aucune chance, mais j'essaye quand même. Je finis par toucher le rocher, je grimpe, surprise de ne pas y trouver mon frère. Je me retourne à sa recherche. Les vagues continuent de s'échouer sur la plage, la mer paraît calme et mon frère n'est pas là. J'hurle son prénom, le silence qui s'ensuit est effrayant, déjà des nageurs alertés par mes cris, court vers moi, mais Dylan ne remonta jamais à la surface. Plus tard, dans les bras de mes parents, papa m'expliquera que la maillot de mon frère s'était accroché à quelque chose pendant qu'il nageait et qu'il lui avait été impossible de revenir. Moi je pense surtout que c'est la mer qui a voulu le garder pour elle toute seule. Quelle égoïste.


«  Mon Dylan,
Le psy m'a conseillé, depuis ta disparition, de t'écrire une lettre une fois par mois. Il dit que j'aurais l'impression que tu es seulement partis pour un long voyage, j'ai jamais eu ce sentiment. Je sais que tu n'es plus là, tu es quand même mon jumeau.
Le mois prochain, tu aurais eu 16 ans. Je ne sais même pas comment t'expliquer ce que je suis devenue. Je me suis mise à fumer, on dit que ça soulage le manque. C'est pas faux. Je n'ai plus vraiment d'amis, j'ai arrêté de devenir amis avec les autres, parce que s'attacher aux gens entraîne le manque. On me surnomme ''La chieuse'', oui, je suis chiante, hypocrite, une langue de vipère qui parle dans le dos des gens et j'adore ça. Je crois qu'il y a 8 ans, la mer s'est trompée, tu étais un ange et les gens comme moi ne devrait pas exister. Papa et maman ont voulu me changer les idées en me lançant dans le mannequinât, je fais quelques photos pour deux ou trois pubs, mais sans plus. Moi ce que je veux faire, c'est défendre les méchants, s'ils sont comme ça, c'est qu'il y a une raison.
Alors, voilà Dylan, tu t'es enfui avec une partie de moi, la meilleure partie.
Ton sang, ton double, ta Coleen. »